La complainte du progrès : Les arts ménagers

Boris Vian

Autrefois pour faire sa cour
On parlait d'amour
Pour mieux prouver son ardeur
On offrait son coeur
Aujourd'hui, c'est plus pareil
Ça change, ça change
Pour séduire le cher ange
On lui glisse à l'oreille
Ah... Gudule!... Viens m'embrasser...
Et je te donnerai

Un frigidaire
Un joli scooter
Un atomixer
Et du Dunlopillo
Une cuisinière
Avec un four en verre
Des tas de couverts
Et des pell's à gâteaux
Une tourniquette
Pour fair' la vinaigrette
Un bel aérateur
Pour bouffer les odeurs
Des draps qui chauffent
Un pistolet à gauffres
Un avion pour deux
Et nous serons heureux

Autrefois s'il arrivait
Que l'on se querelle
L'air lugubre on s'en allait
En laissant la vaisselle
Aujourd'hui, que voulez-vous
La vie est si chère
On dit: "rentre chez ta mère"
Et l'on se garde tout
Ah... Gudule... Excuse-toi...
Ou je reprends tout ça

Mon frigidaire
Mon armoire à cuillères
Mon evier en fer
Et mon poêle à mazout
Mon cire-godasses
Mon repasse-limaces
Mon tabouret à glace
Et mon chasse-filou
La tourniquette
A faire la vinaigrette
Le ratatine-ordures
Et le coupe-friture
Et si la belle
Se montre encore rebelle
On la fiche dehors
Pour confier son sort

Au frigidaire
A l'efface-poussière
A la cuisinière
Au lit qu'est toujours fait
Au chauffe-savates
Au canon à patates
A l'eventre-tomates
A l'écorche-poulet
Mais très très vite
On reçoit la visite
D'une tendre petite
Qui vous offre son coeur
Alors on cède
Car il faut qu'on s'entraide
Et l'on vit comme ça
Jusqu'à la prochaine fois

Et l'on vit comme ça
Jusqu'à la prochaine fois

Et l'on vit comme ça
Jusqu'à la prochaine fois 

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