Le brailleur de Bellechasse

Michel Faubert

«Où vais-je la mettre?»

On raconte qu’il y a de cela bien longtemps dans Bellechasse vivaient deux cultivateurs qui étaient toujours en
bisbille. Une histoire de terrain... Ça se poignait ces deux familles là depuis des générations. Puis, il n’y a jamais eu
moyen de régler rien d’aucune manière, surtout en matière d’arpentage.

Toujours que le temps passe. Puis arrive ce qui devait arriver. Les gens de la paroisse sont intervenus. Puis, ça a
décidé tout ce beau monde-là de déterrer en présence d’un notaire la borne qui avait été enfouie par le grand-père
anciennement pour marquer la limite entre les deux terres.

On a cherché. On a creusé. On a trouvé. Curieusement, la pierre en question se trouvait à un endroit qui avantageait
de beaucoup un des deux habitants. Lui, disait : « Je le savais. Je le savais qu’elle était pour être là. Moi j’étais le
plus jeune à la maison. Le jour où le vieux Léon, mon grand-père, a enterré la borne, il m’a sacré une maudite volée.
Juste pour être sûr que je me souviendrais toute ma vie de la place où elle était. » Bien, il avait gagné. Mais lui, lui
savait qu’il avait triché. Il savait qu’il avait déplacé la borne deux semaines avant qu’on la déterre. Mais aux yeux de
tout le monde, il avait gagné. Remarquez que ça l’a pas empêché de mourir comme les autres quand son heure est
venue. Puis, ironie du sort, les deux voisins sont morts le même jour. Ce qui a fait dire à un, puis à un autre, que le
paradis, si le Bon Dieu était assez bon pour les recevoir tous les deux, il était mieux d’être mauditement bien
arpenté pour ne pas que le diable r’pogne encore même dans l’au-delà.

«Où la mettre?»

Le temps fait son chemin. Des années plus tard, le vent qui vente, le vent sifflant des mauvaises nuits noires de
novembre charroyait ce cri. Sans que l’on comprenne qui était ce braillard-là. Qu’est-ce qu'il pouvait bien vouloir
mettre où? pis pourquoi?

Finalement, un bon soir, un gars de la paroisse qui revenait de veiller sur le rang où tout ça s’était passé autrefois. Il
faisait frette. Puis il faisait noir. Le vent s’est levé. Dire comme on dit, le bonhomme avait pris une tasse. Il était
chaudasse un peu. Il se revire de bord, s’accote sur la clôture, puis il répond : « Mets-la donc où tu l’as prise. »

«Merci monsieur, merci.»

Notre fêtard a juste eu le temps de voir un homme tout pâle qui portait une grande pierre dans ses mains. Le
revenant marchait de reculons en le regardant. Puis, tout d’un coup, il a disparu.

Aujourd’hui, eh bien les conteurs racontent. Puis, si je peux vous dire qu’on n'a plus jamais entendu les plaintes du
braillard de Bellechasse, je peux aussi vous assurer que dans cette région-là, il n’y a plus grand chicane de terrain. 

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