La Manikoutai

Gilles Vigneault

Ils ont dit que c'était une fille  
Moi je dis que c'était la Manikoutai  
L'oeil en feuille et la dent de coquille   
Telle était la Manikoutai 

C'était plus haut que la plaine
Il fallait pour aller là
La patience et l'aviron  
Connaissance de la chute 
Du portage et du courant 
Où et comment l'eau culbute
Les oreilles de charrue 
Et l'eau morte et les cirés  
Les corps morts et les écumes
Veille à gauche et veille à droite
À la pince et au ballant 
Sans vouloir te commander
Tiens-toi bien mais laisse aller
Pas grande eau mais c'est assez
Pour te dire qu'à l'eau douce
On finit par dessaler

Et çà c'était pour l'été 

Ils diront que c'était une femme 
Moi je dis que c'était la Manikoutai 
Le dos souple et la danse dans l'âme 
Telle était la Manikoutai    

Fatiguée de la semaine
En rapides et gros bouillons
Elle faisait son dimanche 
En amont du quatrième
Vive encore et paresseuse 
Avec du sable en dorure  
Et les beaux cailloux tout rond 
À deux pas c'est une source
À trois pas c'est un brûlé 
Le foin haut pis les framboises  
Les bleuets pis les béris 
Et le petit bois d'argent  
Prends ton temps prends pas ta course
C'est piquant pis déchirant
Pas si vite assieds-toi là
On va compter les cailloux

Ça c'était pour le beau temps  

Ils croyaient que c'était une fée  
Moi je dis que c'était la Manikoutai  
De feu, d'or et d'automne attifée  
Telle était la Manikoutai  

Aux premiers jours de gelée 
Elle a déjà le gros dos
Les manchons puis les manteaux 
Tout en blanc et beau et chaud
Elle a la race et la grâce  
Elle est de chasse et de glace
Les renards et les visons 
Les rats musqués, les castors
Le loup-cervier puis la loutre 
Lui font dentelle de traces
Et quand la glace est trop mince 
Pour la tenir enfermée  
Elle saute la fenêtre 
Elle est noire et douce et froide
Et c'est le froid qui la dompte 
À la tombée de la nuit

Et c'est le temps de l'hiver 

Ils croiront que c'était une amante
Moi je dis que c'était la Manikoutai  
Jeune et vieille et muette et parlante  
Telle était la Manikoutai   

C'était le temps du trappeur 
Et le temps des compagnies
On partait le vingt octobre
On revenait vingt janvier
Quand un homme est à la chasse
Sa blonde a des cavaliers
Sont partis le même jour 
Mais chacun de son côté  
On a trouvé par les traces 
Qu'une fois rendus aux pièges  
Avaient chassé tous les deux  
Jusqu'à ce trou dans la neige 
Attention la glace est mince! 
Tu la salueras pour moi
Non. Viens pas! Tiens-toi j'arrive! 
Les chiens sont revenus seuls...  

Ça c'était pour le printemps 

Ils ont dit que c'était la Julie 
Moi je dis que c'était la Manikoutai 
Ils diront qu'avec l'âge on oublie
Telle était la Manikoutai

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